L’UTOPIE ET LES OS À RONGER

L’UTOPIE ET LES OS À RONGER

L’utopie, c’est ce vers quoi on tend. C’est un idéal, une aspiration, une gageure selon certain.e.s.

L’utopie, c’est beau comme ne peuvent l’être que les rêves.

L’utopie, c’est le moteur de ceux et celles pour qui les obstacles ne sont pas insurmontables ou qui n’ont pas ( encore ) conscience des obstacles. L’utopie, c’est bien souvent le carburant des jeunes de mon temps ( hinhin ) qui se lançaient en politique, que ce soit en s’investissant dans des actions citoyennes ou en intégrant les jeunes d’un parti, et que les vieux aimaient traiter de naïfs.

On croyait en la fin de la faim dans le monde, en la paix sur terre. On croyait que les humains étaient tous égaux et qu’ils devaient avoir tous les mêmes droits. Et mieux que Miss Monde, on croyait dur comme fer qu’on y pouvait quelque chose, qu’on allait y arriver, que c‘était possible. À l’époque ( au siècle dernier ! ) on n’était pas tout.e.s seul.e.s. Ce sont nos profs, d’ailleurs, qui nous ont fait comprendre qu’il fallait le revendiquer, ce monde meilleur. À l’époque, on nous balançait des autopompes et des gaz lacrymo, mais on nous opposait, aussi, des arguments de fond. Le débat était politique dans le bon sens du terme. Les manifestant.e.s avaient du poids, on ne pouvait pas les ignorer. On en a fait sauter, des ministres, on en a mobilisé, des gens.

Aujourd’hui, on en ressort toujours trempé.e.s, mais aussi bredouilles. « On n’a pas le choix » est devenu le leitmotiv de politiques et de certains médias. L’Europe, cette belle conception ( du siècle dernier, elle aussi. Décidément, le 20e est un bon cru ) est devenue un obstacle : « On ne peut pas, c’est l’Europe ». « On ne peut pas, les autres ne le font pas ». Et en Belgique, la séparation des pouvoirs a achevé d’achever l’utopie : « Ce n’est pas de notre ressort ».

Certain.e.s ont gardé la foi et affichent fièrement des panneaux « Ceux qui pensent que c’est im- possible sont priés de ne pas déranger ceux qui essayent » mais reconnaissons – le, ce putain de ré- alisme a fait des ravages au point que désormais, il suffit de l’évoquer pour vous tuer une vocation. « C’est UTOPIQUE ». « Ça n’est pas RÉALISTE ».

On était beaux et belles comme toutes les flammes de l’espoir, nous voilà aussi brillants qu’un cerveau de moule avariée. Amers. Désabusés. Découragés. Fatalistes. Moqueurs même quand on contemple les flammes dans le regard des autres. Aussi aigris et condescendants que peuvent l’être ceux et celles qui se sont fait baiser, rattraper par les vicissitudes de la vie, par les loyers à payer, par les gamins à torcher, par les patrons à satisfaire, par les discours lénifiants du pouvoir. Un pouvoir qui ne semble plus exister que pour lui – même et sa reconduction et ne semble s’agiter qu’en vue des prochaines élections.

Ceux d’entre nous qui croient encore en un monde meilleur (ou moins pire) le construisent dans leur coin. Cultivent leur potager, montent des projets collectifs, créent des associations. Font le job, sans compter sur quelqu’un d’autre qu’eux – mêmes. Oh, bien sûr, ils savent que ce n’est pas juste et bien souvent ils le disent. Par- fois, on leur lâche un os, pour qu’ils restent tranquilles.

On croyait en un monde meilleur et on croyait que ceux et celles qui le dirigent y seraient pour quelque chose. On était jeunes.