Nous vivons à une époque où la dystopie semble avoir partout étendu son ombre menaçante, s’appropriant une part importante de notre imaginaire. Les théories de l’effondrement s’érigent en science, et les films aux scénarios-catastrophes s’invitent régulièrement sur nos écrans. Ces dernières années, on a vu débarquer en nombre les séries dépeignant un avenir glaçant (Black Mirror nous en a fait un beau panel durant cinq saisons) ; et on ne compte plus les reportages qui nous témoignent de l’état catastrophique du monde. Il fut un temps où l’angoisse de l’avenir portait d’abord sur l’avènement possible de systèmes totalitaires et/ou régis par la science, dans lesquels l’amour, l’humain, la diversité, le libre arbitre auraient disparu au profit de classes sociales rigides, d’états souverains et de systèmes de reproduction mécanisés. Aujourd’hui, si ces problématiques sont loin d’avoir disparu, elles se mêlent à la crainte d’un danger d’autant plus imminent : l’épuisement des ressources, les catastrophes écologiques et humaines liées et, à terme, l’effondrement de nos civilisations. Comment continuer, alors, à fonctionner ?
Une nouvelle pathologie a en effet fait son apparition dans le catalogue des psychologues : l’éco-anxiété. De plus en plus de gens souffrent de ce trouble lié à la disparition possible de notre monde, et à l’incapacité individuelle d’enrayer le processus d’autodestruction que nous nous appliquons à entretenir. De plus en plus de gens n’arrivent plus à fonctionner, paralysés par la peur d’une disparition prochaine et pour cause, le sens de notre existence est, pour nombre d’entre nous, corrélé à l’idée de transmission et de génération futures. Sans générations futures, sans continuité de l’existence, perte de sens. Et paralysie.
Un phénomène contre-productif donc, qui mène certains à s’immobiliser là où le monde à désespérément besoin de se mettre en mouvement. Des scénarios-catastrophes qui polluent notre imaginaires, nous empêchant de penser autrement, de faire vivre, dans notre imaginaire d’abord, d’autres possibles. L’imaginaire a ce pouvoir fascinant de précéder le réel, se confondant parfois avec lui, s’entremêlant par endroits ; ce que l’on crée dans notre imaginaire existe ; d’une manière singulière, mais significative. Réhabiliter l’utopie, c’est se laisser la possibilité d’espérer. C’est créer, d’abord dans l’imaginaire, des mondes que l’on voudrait voir exister, pour tenter de les réaliser. Créer des nouveaux modes de gouvernance, repenser le rapport au collectif, imaginer de nouvelles formes d’habitat, d’alimentation, de travail, réinventer le rapport au vivant. Un espace nécessaire pour faire évoluer notre monde. Une contre-attaque puissante face au néant annoncé.
À chaque fois qu’une transition s’opère et qu’un système s’effondre, le nouveau système semblait préexister sous certaines formes dans le précédent. Ce que l’on crée aujourd’hui pour résister à l’effondrement possible de notre civilisation posera peut-être les bases de ce qui existera plus tard. On peut penser un effondrement du système qui ne mènerait pas à un effondrement de l’humanité tout entière, mais qui serait le lieu d’un renouvellement salutaire. L’occasion d’un monde plus juste, pour les Hommes et leur environnement. L’enjeu est de taille, et c’est précisément le moment de ne pas baisser les bras. Embrasser l’utopie, c’est se laisser la possibilité d’espérer ; continuer à créer ; poser les bases de notre avenir. Et, tout à coup, tout s’éclaire.