L’éducation, ou lutter à la source.
L’éducation, c’est souvent la réponse qui finit par émerger de tout débat sur ‘comment changer le monde’. Parce que le politique est majoritairement soumis aux lobbys, qui sont, eux, directement soumis aux choix des consommateurs et que les choix des consommateurs sont, eux, liés à l’éducation… Mais aussi parce que le niveau de pouvoir est corrélé au niveau d’études, que l’esprit critique s’apprend et que la créativité se développe. L’éducation reste alors un levier majeur pour actualiser un changement profond de nos sociétés. Et l’égalité des chances une base pour penser une société plus juste et plus durable.
C’est ce qui pousse nombre de gens autour de moi, et parmi eux.elles Virginie, que nous avons rencontrée, à devenir profs ; ou tout du moins à le rester. Des gens motivés à contribuer à cette égalité des chances et à véhiculer des valeurs et des idées qui leur paraissent essentielles aujourd’hui. Pourtant, le système éducatif, en l’état, est dysfonctionnel; l’égalité des chances n’est pas une réalité et des écarts se créent dès les premières années d’école.. Alors, est-ce encore une lutte que d’en faire partie ? Peut-on réellement oeuvrer depuis l’intérieur du système ?
Pour Virginie, c’est une évidence “Depuis l’intérieur de l’école, je suis beaucoup plus utile à mes jeunes qu’à l’extérieur. C’est beaucoup plus facile de leur faire un marche-pied en étant à l’intérieur qu’à l’extérieur”. Pourtant, au départ, Virginie travaillait dans le socio-culturel et portait un regard très critique sur le système éducatif : “J’ai décrété que jamais, jamais je ne travaillerai dans une école, parce que l’école, ça cassait les jeunes ; nous on récupérait des gamins très très abîmés par l’école, pourtant un passage nécessaire aujourd’hui. (…) mais je me suis retrouvée sans boulot à un moment. Et on m’a proposé un poste dans une école. (…) et puis le déclic s’est fait, et après deux, trois semaines de boulot, je me suis dit “Ca c’est le boulot que je veux faire”
Un regard critique qu’elle porte cependant toujours sur le système éducatif : “Le système n’est plus du tout en adéquation avec la société d’aujourd’hui, où l’information est accessible partout. Par contre, il est très fort en adéquation avec la volonté de trier : on trie ceux qui vont avoir une culture scolaire, capables d’accepter ce qu’on va leur dire de faire pour avoir un diplôme, et ceux qui n’en sont pas capables et qu’on va renvoyer dans des boulots où ils auront moins de pouvoir. C’est une évidence.”
Mais à son échelle, en tant que prof, elle essaye de faire évoluer les choses. Orienter les politiques d’école, organiser des voyages scolaires, offrir du respect et de l’écoute à ses élèves : “Je pense que dans un parcours scolaire, c’est important pour les élèves de rencontrer quelqu’un qui a confiance en eux, qui les respecte, qui a de l’estime. Je pense que c’est important, à l’adolescence, de rencontrer des gens bienveillants… avec une vraie bienveillance”.
Mais est-ce suffisant ? N’est-ce pas une simple goutte d’eau face à l’ampleur des inégalités ? Comment penser un changement plus global de l’enseignement, pour permettre une réelle égalité des chances et un système éducatif mieux adapté à nos réalités sociales et culturelles ?
Pour Virginie, “Il faut changer totalement de paradigme général. Tant qu’on sera dans des politique néo-capitaliste, la priorité n’ira pas à l’enseignement. Tant qu’on ne taxera pas les entreprises de peur qu’elles aillent déménager ailleurs, on n’aura pas d’argent pour mettre la priorité dans l’enseignement”.
Autre réalité à prendre en compte, le système actuel profite très clairement aux élites… qui décident des politiques d’enseignement. “C’est Chomsky qui dit “Il n’y a aucune raison de penser que les gens qui nous dirigent soient plus cons que nous” ; donc ils ont très bien compris ça aussi. Il ne faut pas penser que c’est pas intentionnel ce qu’ils font. Ils ne peuvent le faire que de manière intentionnelle parce qu’ils ne peuvent qu’avoir compris. Ils ont plein de gens qui travaillent pour eux. Ces gens sont au moins aussi intelligents que nous et y’a aucune raison de penser qu’ils sont naïfs, et que c’est parce qu’ils se trompent que le système est comme ça. C’est pas parce qu’ils se sont trompés ; ils sont conscients, et ça les arrange comme système”.
Le système scolaire est donc soumis à un système politique critiquable, qui ne semble pas vouloir bouger. Alors comment provoquer ce changement plus global du système néo-capitaliste, que nos politiques font tout pour entretenir ? D’où peut venir ce changement, si l’éducation ne suffit pas à changer le système tout entier (puisque que soumise au dit système) et que les dirigeant.e.s ne font rien pour le faire évoluer ? Pour Virginie “ Il y a plein d’alternatives et de petites choses qui sont en train de se passer, le système est sérieusement en train de se craqueler. Il y a plein de gens qui font des petites choses, à leur mesure. Que ce soit dans l’associatif, ou ailleurs”. (…) C’est des petites choses, mais je pense que ça va venir de là. De nouveau, c’est Chomsky qui dit ça : quand une société s’écroule, le nouveau modèle est préexistant ; (…) Et je trouve qu’il y a de plus en plus de projets alternatifs, ou peut-être simplement que je les vois plus, mais tout ça me fait penser qu’effectivement y’a un moment où c’est ces projet-là qui vont prendre le dessus”.
Le changement ne viendrait donc pas d’une révolte violente, mais de choses qui bougent ici et là, et qui donnent le ton à de nouveaux possibles. Et, dans la perspective de cette révolution douce, résultant d’une somme d’initiatives individuelles, le travail du prof prend tout son sens : « J’ai voulu changer le monde, mais je pense que changer un petit peu un gamin, c’est changer le monde ; c’est changer sa façon d’être au monde, et lui va apporter plus, ou autre chose. ». Et c’est ce que je retiens de mon entretien avec Virginie : nous ne pouvons peut-être pas changer le système tout entier, mais nous pouvons continuer d’imaginer d’autres modes d’existence… et donner à d’autres l’espace et les outils nécessaires pour qu’ils les imaginent avec nous.